Je veux bien répondre en détail mais notez que je fais pas ça pour avoir des conseils, surtout si vous avez jamais vécu ce contexte vous-même, vous aurez du mal à appréhender toutes les problématiques sans dire de grosses conneries.Ça n'embauche jamais en CDI dans ta branche ?
Je dirais que c'est un mélange de plusieurs facteurs. C'est un secteur où le piston, le réseau et le fricotage sont assez pesants (pas le pire non plus je dirais, quand on pense au monde de l'édition ou du show-business) et éclipsent trop souvent les questions de compétence et d'intelligence professionnelle, et ça ceux qui en pâtissent le plus c'est les gens comme moi.
Mais c'est surtout le bled qui veut ça, en plus d'avoir un mode de fonctionnement basé sur le piston et le réseau qui est séculaire ici (dockers etc), Le Havre a toujours été sinistré par le chômage depuis les années 70, et ces derniers temps au lieu d'avoir simplement toutes les autres villes de France qui rejoignent son niveau, au Havre ça a continué de sky-rocketter au point qu'aujourd'hui ça en est devenu caricatural. Le clivage est tellement fort entre les gens des quartiers populaires et ceux d'origine sociale favorisante (et leurs chances respectives de s'en sortir) qu'on se croirait dans un système féodal.
Mais ça, ces derniers qui sont du bon côté de la barrière ne le voient pas, pour eux tout va bien au Havre et si on veut vraiment du boulot, on a juste à se baisser pour en trouver. Bin tiens, ils sont vraiment coincés dans leur bulle comme pas permis. Comme je dis toujours, quand t'es du mauvais côté de la barrière, tu peux voir ce qu'il se passe de l'autre côté mais tu peux jamais traverser. Et quand t'es du bon côté, tu vois pas l'autre monde, mais par contre tu peux traverser très facilement juste avec une petite glissade malencontreuse.
Bref pour l'instant tous les fils de bourges que j'ai connus à l'école et qui culminaient à des moyennes de 3/20 ont tous finis directeurs ou avec de bons postes à responsabilité ici, et je compte plus le nombre de responsables que j'ai eus qui n'ont que la tchatche et les concertos de flûte pour eux (sentiment d'être en constante idiocratie).
Ensuite c'est aussi un effet boule de neige social dû à la connerie ordinaire des gens. Un exemple très concret et maintes fois observé, les gens en CDI quand ils daignent s'adresser à des nouveaux, bah la mayonnaise prend beaucoup mieux quand ils ont des sujets d'intérêt et de conversation en commun, genre s'ils ont tout deux passé des vacances à Nouméa à l'autre bout du monde, ou quand ils discutent de leurs sujets communs de surconsommation genre collectionner les funky-pop machin ou que sais-je. Ou mieux, quand c'est un(e) pistonné(e) qui vient d'arriver, bah la personne en CDI a déjà un sujet d'accroche "ah tiens t'es la fille de..." sur lequel sa curiosité est sincère en plus.
Et après la relation se construit comme ça par effet boule de neige, jusqu'à ce que la personne en CDI ait de l'amitié et de la considération pour toi et jusqu'à ce qu'elle parle de toi favorablement à la hiérarchie.
Alors que quand on s'adresse à des gens comme moi, bah non je suis pas parti en vacances depuis mes 12 ans, bah non j'ai jamais pris l'avion, bah non je m'achète rien j'ai pas l'argent, et si je parle de ma vie perso forcément ça va vite sentir la misère et le quartier même si j'essaie de le cacher.
De toute façon même quand on évite les sujets trop glauques et qu'on essaie de parler que de trucs rigolos en mettant l'emphase sur l'humour, bah souvent il y a quand même un malaise chez la personne en face parce qu'elle sent qu'on n'a pas grandi dans le même monde et elle est gênée d'une certaine manière, et souvent on la revoit plus revenir vers toi la fois d'après à la prochaine pause.
Bref après c'est le cycle infernal qui fait la pluie et le beau temps et a un impact décisif sur qui va être choisi en CDI et qui va passer à la trappe au final (et les compétences dans tout ça ? Envolées par la fenêtre comme d'hab), mais c'est dû aux préjugés des gens (franchement ils se marreraient beaucoup plus avec moi qu'avec le veau d'à côté qui te reparle une énième fois de ses vacances chiantes en camping-car).
Et moi, bah être toujours celui qui va vers les autres pour forcer le relationnel, je veux bien pendant 5 ans comme tout le monde quand on débute, allez 10 ans je suis gentil, mais après quand c'est toute la vie c'est bon j'ai eu ma dose, qu'ils aillent se foutre. Pour ce que ça sert en plus.
Après c'est pas moi qui fais spécialement une fixette sur le "us & them" hein, ça me l'est juste rappelé constamment par le comportement de (la majorité de) ces gens dans les détails les plus insidieux de la vie quotidienne dès que je fous le pied dehors. La lutte des classes c'est eux qui l'entretiennent c'est pas moi.