Jeu et identité
Dans le dur monde du jeu vidéo, tous les titres ne sont pas égaux. Certains deviennent des succès planétaires et d'autre finissent rapidement aux oubliettes. Une différence entre ces deux catégories, c'est ce que j'appellerai l'identité.
Gameplay.
Commençons par le cœur du jeu : le gameplay. Comme écrit dans l''article Comment aller à l'essentiel et donner aux joueurs ce qu'ils veulent, l'ensemble des mécaniques d'un jeu tourne autour d'un « noyau » central et surtout, unique. Dans la mesure où la majeure partie du temps passée sur un jeu va se résumer à un petit nombre d'actions répétées, ce noyau va définir très fortement l'identité du jeu.
Prenons l'exemple d'un monument du jeu vidéo au succès planétaire : Pac Man. Le jeu se résume à ramasser des points dans un labyrinthe, un noyau central sur lequel viennent se greffer les fantômes, les pilules, etc. Avec la diversification du jeu vidéo liée à l'évolution des supports de jeu, les jeux se définissent en fonction de l'action centrale (ce qu'on pourrait appeler le « genre », pour faire simple) : dans un shmup, on tire, dans un jeu de plate-formes, on saute, dans un Pac-Man, on gobe, dans un Bomberman, on fait tout péter.
Dans un deuxième temps, un jeu se définit par la façon dont cette mécanique centrale est déclinée : rien à voir entre un Kingdom Hearts, qui vise une action frénétique avec une flopée d'ennemis et des combos acrobatiques, et un Zelda, où l'exploration et la résolution d'énigmes ont une grande place, alors que par ailleurs, tous deux sont des A-RPG.
Direction artistique.
L'identité visuelle et musicale d'un jeu est très importante, si ce n'est capitale. En effet, toutes les interactions avec le joueur passent par deux sens : la vue et l'ouïe (on peut compter en plus le toucher depuis l'apparition de la fonction vibration, mais cela reste anecdotique). Peu importent la profondeur de l'univers ou le soin porté aux personnages si les choix visuels (character design, choix des couleurs, etc.) ou musicaux (thèmes, sons, etc.) ne permettent pas au joueur d'en garder le souvenir. Indépendamment de la technique du jeu (graphismes next-gen, orchestration, etc.), la musique et le graphisme permettent de créer des points de repères pour le joueur. Un joueur ne pourra pas tout retenir d'un jeu et ces points de repères lui permettront de garder en mémoire les éléments essentiels du gameplay et du scénario. Quel que soit le jeu Mario auquel vous jouez, il aura toujours une moustache et un casquette rouge, et vous retrouverez le célèbre thème musical.
Par exemple, dans un Zelda, l'acquisition d'un rubis ou la résolution d'une énigme s'accompagnent d'un bruit très caractéristique dont les joueurs se souviennent longtemps après avoir fini le jeu. De nombreux personnages de la saga Final Fantasy restent en mémoire grâce à leur thème musical : Kefka, Aéris, Edea, etc.
Dans un Mario, les joueurs associent immédiatement des éléments de gameplay à des repères visuels, des symboles (un champignon pour une vie, un cube avec un point d'interrogation contre lequel il faut sauter, une étoile qui rend invincible, etc.). L'identité visuelle et musicale de votre jeu tient en grande partie à la présence de tels éléments, récurrents et facilement mémorisables, comme les ennemis (goombas, space invaders, etc.), les symboles (triforce, champignon « 1-up », etc.) ou encore l'utilisation récurrente d'un même thème musical avec différentes variantes (le chant des Priants dans Final Fantasy 10). Il faut que ces éléments soient à la fois simples et marquants.
Le choix d'un style visuel est essentiel pour que votre jeu soit reconnaissable : le pixel art haute résolution d'un Owlboy saute aux yeux immédiatement et les personnages sont très reconnaissables à leurs teintes brunes et à leurs nez rouges.
Adopter un style visuel ou mettre en place une ambiance musicale ne fonctionne que si vous avez un réel souci d'homogénéité mais aussi si votre style sert votre gameplay. Si vous concevez un jeu d'un type donné, gardez à l'esprit que votre style graphique et votre environnement sonore y sont subordonnés. Si vous faites un beat'em all dans lequel le joueur éclate des zombies à grands coups de démonte-pneu, il serait incohérent d'utiliser des tons pastels chauds et de passer une musique douce (bien sur, cela n'a aucune valeur dans le cas d'un jeu comique ou parodique, puisque l'incohérence peut être source d'humour). De plus, il faut maintenir une cohérence entre ambiance sonore et ambiance visuelle, sans quoi la magie n'opèrera pas.
Personnages.
Les personnages jouent un rôle central dans la façon dont un jeu marque les esprits. Très souvent, on peut résumer l'image d'un jeu simplement à son personnage principal : l'image de Sonic ou de Solid Snake suffit à immédiatement rappeler tous les jeux auxquels ils sont associés. Si un joueur doit s'incarner dans un personnage, il est capital qu'il puisse s'y attacher, même si ce personnage n'est pas sympathique. Si la mort brutale de votre personnage ne provoque qu'un rire méprisant chez le joueur, il y a quelque chose qui pose problème.
Le personnage de jeu existe principalement de trois façons : à travers son design, à travers ses dialogues et à travers ses actions. Il est donc important de rendre, quitte à simplifier, le look d'un personnage mémorable. La structure géométrique de l'armure de Samus dans Metroid est très épurée, mais immédiatement reconnaissable. De la même façon, la voix et les expressions d'une GLaDOS — notamment sa façon de passer d'une neutralité faussement enjouée à un discours passif-agressif plus qu'inquiétant — ont fixé le personnage dans la mémoire des joueurs.
La communication
Un élément important de l'identité d'un jeu est la communication qui se joue autour du jeu, parce qu'elle va déterminer comment celui-ci restera dans les mémoires. La communication, même si elle ne fait pas à proprement parler partie du jeu, prolonge son univers d'une certaine façon, à travers la fanbase. Un gros éditeur de jeux AAA ne communique pas de la même façon qu'une petite équipe d'indépendants et la « mythologie » qui se construit autour de leurs jeux n'est pas la même.
Square Enix
Prenons tout d'abord l'exemple de Square Enix, acteur non-négligeable de la scène vidéoludique. Quand on parle de communication chez Square-Enix, on voit généralement les choses en grand : panneaux publicitaires dans le métro ou aux arrêts de bus, spots télévisés, sites dédiés à l'interface léchée, packaging complexes avec artbooks, etc.
En faisant le choix d'investir du temps, de l'argent et du travail pour sortir les bandes son de ses jeux, les faire arranger (pour piano notamment), orchestrer et diffuser, Square-Enix a renforcé l'identité musicale de ses jeux : la série des Final Fantasy est reconnue pour ses musiques et un jeu comme Nier a été acclamé pour sa bande son audacieuse.
Graphiquement, Square-Enix a fait des efforts sur sa série phare pour homogénéiser les logos : la société a même demandé à Yoshitaka Amano, character designer attitré des anciens épisodes, de revenir sur les titres des premiers opus pour les accorder avec les autres et continue à l'artiste de signer les logos des nouveaux Final Fantasy, bien qu'il ne réalise plus leur design.
Pour la sortie de Deus Ex : Human Revolution, le service marketing a conçu un faux site pour l'entreprise fictive Sarif Industries, qui a ensuite été piraté par un groupuscule rebelle, lui aussi fictif. Le jeu entre réalité et fiction permet de prolonger l'univers du jeu, ce qui lui a permis d'installer dans les esprits son ambiance particulière.
Tous ces choix de marketing font que, d'une certaine manière, l'univers du jeu s'étend hors du cadre du jeu à proprement parler et que l'ambiance, l'image, l'identité de ces titres restent très fortement ancrées dans la mémoire des joueurs.
D-Pad Studio
A l'opposé de la gamme, on trouve par exemple D-Pad Studio, un petit studio indépendant travaillant sur Owlboy, un projet de jeu de plateforme. Malgré le manque de moyens financiers, l'équipe de développement a su jouer sur la jovialité et la proximité avec les joueurs pour créer une forte communauté autour de Owlboy.
La communication autour d'Owlboy est caractéristique des jeux indie : l'utilisation centrale d'un blog, la présentation du développement du jeu et des problématiques qui y sont liées, un jeu de réponse entre artworks et fan arts, la présence très régulière à des conventions ou à des concours amateurs. Les membres de l'équipe sont par exemple représentés par de petits portraits dans le style du jeu et donne une image sympathique à la fois du jeu et de ses développeurs, comme si l'ambiance du jeu « contaminait » la communauté qui se crée autour.
Valve
Entre les deux, l'exemple de Valve est particulièrement surprenant : les développeurs de Half-Life ont choisi d'utiliser leur arsenal de communication pour établir une relation de connivence avec les joueurs basée sur l'humour. En jouant sur l'absurde et des répliques extrêmement spirituelles, les développeurs ont réussi à créer toute une mythologie autour du jeu, au point de créer de véritables mèmes (on ne présente plus le fameux « The cake is a lie »).
L'exemple le plus impressionnant de cette communication décalée est le Potato Sack, une offre promotionnelle disponible sur Steam regroupant 13 jeux indépendants, proposé peu avant la sortie de Portal 2. Des modifications subtiles basées sur le thème de la pomme de terre dans chacun des jeux menaient à un jeu de piste labyrinthique, censé déboucher sur des informations cachés sur le futur Portal 2. Oui, oui, vous avez bien lu.
En choisissant de ne pas considérer les joueurs exclusivement comme des consommateurs mais aussi comme des personnes avec qui l'ont peut échanger sur le jeu, Valve a réussi a étendre l'univers de Portal au delà du jeu à strictement parler : ce n'est plus seulement un jeu, c'est un ensemble de références humoristiques, voire culturelles.
Conclusion
Un jeu qui a une forte identité est un jeu dans lequel rien n'est laissé au hasard et où tout ce avec quoi le joueur peut interagir à été pensé avec un réel souci de cohérence (gameplay, graphismes, écriture, musique). C'est également un jeu qui a su être promu intelligemment, non pas comme produit commercial, mais comme expérience vidéo-ludique.
Un jeu, aussi bien dans son univers qu'à l'extérieur, doit être cohérent avec lui même. Ralph Eggleston, production designer chez Pixar disait à propos des univers dans lesquels prennent place les films Pixar :
You don't have to build it all, you just have to know it all.