Le genre qui ne voulait pas mourir
L'article original est écrit par Ernest Adams publié par Gamasutra (avril 2009).
L'auteur original n'est en aucun cas reponsable de la précision de cette traduction.
Ma vie a été un peu bizarre ces derniers temps. L'autre jour, j'avais décidé d'être chanteur d'opéra et puis finalement je me suis retrouvé coincé dans le château d'un vampire. Quelques heures plus tard, je me suis retrouvé dans la peau d'une adolescente de dix-sept ans un peu stupide et je ne sais comment, j'ai remonté le temps et l'espace pour me retrouver au milieu des Caraïbes à l'époque des pirates et, oh mon Dieu ! Je ne trouve plus mon nécessaire de maquillage !
Et puis je suis devenu un flic du nom de Phoenix Wallis, qui enquête sur un meurtre dans une utopie profondément dérangeante, et maintenant je suis un minuscule tyran qui essayer de récupérer son royaume volé par un usurpateur.
Au cas où vous ne l'auriez pas deviné, je joue à quatre jeux d'aventures en même temps. C'est marrant, même si c'est un peu déstabilisant. Et tout ça en une seule journée. Plus tôt dans la semaine, j'avais essayé de devenir la reine de la promo dans mon lycée et j'ai aussi aidé un fameux archéologue à découvrir les secrets d'une amulette magique.
Les journalistes spécialisés dans le jeu vidéo annoncent souvent avec une aisance déconcertante que les jeux d'aventure sont sur le point de s'éteindre, mais ils ont tort. Les jeux d'aventure ne seront plus jamais le genre dominant qu'ils ont été, mais il y a un marché bien établi pour ce genre de jeux et le nombre de gens qui y jouent est en augmentation, grâce à l'arrivée récente d'un grand nombre de joueuses et de casual gamers sur le marché.
Il y a presque dix ans, j'ai écrit un article pour le Designer's Notebook intitulé « Il est temps de faire revenir les jeux d'aventure » (NDT : en anglais, « It’s Time to Bring Back Adventure Games »). Puisque près d'une décennie s'est écoulée depuis la parution de l'article original, j'ai décidé de regarder quelques uns de ces jeux pour voir ce qu'il est advenu du genre pendant l'intervalle.
Je ne parle pas de jeux d'action/aventure — les jeux d'action avec une importante composante narrative — mais bien de purs jeux d'aventure, qu'il s'agisse de point-and-click ou de jeux avec des contrôles directs. Voici ce que j'en ai conclus.
Ce qui s'est amélioré
L'animation. Il s'agit de l'amélioration la plus flagrante. La plupart des autres jeux offrent aux joueurs un nombre limité d'activités — un shooter consiste à tirer et une simulation d'élevage à s'occuper d'un animal. Mais dans un jeu d'aventure, vous pouvez faire toutes sortes de choses — charger un canon, huiler une porte, danser une gigue. Ceci implique que votre avatar a besoin d'une grande quantité d'animations.
La plupart des jeux d'aujourd'hui sont encore en 2D, mais les personnages sont souvent affichés avec des animations construites à partir de modèles 3D. Il est plus facile de construire et de rendre une large variété d'animations d'après un modèle bien utilisé que de tout dessiner à la main.
Les mouvements sont plus fluides et plus naturels. On n'en est pas encore à la qualité d'un Pixar, parce que les jeux d'aventure n'ont pas le budget d'un Pixar. Mais ils sont bien meilleurs sur ce point qu'ils ne l'ont été.
Les rôles que le joueur peut incarner. Les jeux d'aventure ont toujours offert une large palette de rôles au joueur, encore une fois parce que ces jeux ne sont pas contraints de se limiter à un certain type d'actions.
Comme on peut le voir dans ceux auxquels je suis en train de jouer, il y a beaucoup de possibilités — probablement plus encore qu'à l'âge d'or des jeux d'aventure. La comédie offre naturellement beaucoup de possibilités pour les rôles que le joueur peut incarner et une bonne part des jeux d'aventure sont des comédies.
Les décors. Comme pour tous les autres genres, les décors dans les jeux d'aventure se sont beaucoup améliorés au cours des dix dernières années. C'est particulièrement important parce que les joueurs du genre aiment à pouvoir profiter du décor.
Malgré l'impact considérable des accélérateurs 3D sur le reste du monde vidéoludique, beaucoup de jeux d'aventure utilisent encore un arrière-plan peint à la main pour chaque scène.
Les environnements 3D peuvent être une bénédiction pour les jeux d'aventure. Ils sont merveilleux si l'équipe arrive à élaborer des environnements aussi riches qu'un décor peint. Mais avec les budgets limités de notre époque, les développeurs n'ont pas souvent les ressources pour tout modéliser et le joueur se retrouve à courir dans de grands espaces vides.
Pourquoi, par exemple, le quartier général de la police où travaille Phoenix Wallis dans Culpa Innata ressemble-t-il à une gigantesque cathédrale avec en tout et pour tout six bureaux dedans ? Cela prend un temps non négligeable juste pour marcher du bureau de Phoenix jusqu'à la porte d'entrée. J'aimerais beaucoup voir un jeu d'aventure avec le moteur et le niveau de détail des jeux Crytek (NDT : les développeurs de Crysis, entre autres).
L'harmonie des jeux. Ceux qui suivent mes articles depuis longtemps savent déjà qu'il n'y a rien que je ne déteste plus que de sortir d'un univers de jeu à cause d'une blague bas-de-gamme ou d'un anachronisme. De ce que j'en ai vu, les jeux ont une meilleure cohérence interne qu'auparavant.
L'amélioration des graphismes y contribue, mais je pense aussi que les jeux d'aventure se prennent un peu plus au sérieux — même les comédies — et le résultat en est une expérience plus immersive et plus esthétique.
Le son. Pas de surprise ici. La qualité audio des jeux a globalement augmenté, et donc dans les jeux d'aventure aussi. Ceci ne signifie pas que le contenu audio s'est amélioré, comme nous allons le voir.
Ce qui ne s'est pas amélioré
Malheureusement, les jeux d'aventure ne se sont pas améliorés sur tous les points. Voici quelques éléments sur lesquels il faut que nous continuions à travailler.
Des énigmes obscures et incroyablement compliquées. Les énigmes dans les jeux d'aventure d'aujourd'hui semblent être les mêmes que dans les vieux jeux, pour le meilleur et pour le pire, ce qui veut dire qu'on trouve encore quelques énigmes d'une complexité effroyable.
Si tant est qu'il existe une catégorie de hardcore gamers pour le jeu d'aventure, voilà ce qu'ils aiment. Mais c'est un tout petit segment du marché, et si le genre veut attirer le segment grandissant des casual gamers, il doit devenir plus accessible.
Les non sequitur et les énigmes qui requièrent une forme extrême de pensée latérale constituent deux des pires TDC que je connaisse (NDT : voir l' article « Vilain Game Designer ! Pas de biscuit pour toi ! » et ses multiples suites). Je ne m'offusque pas si la solution d'une énigme est inhabituelle ou si elle nécessite la mise au point de gadgets à la McGyver, du moment que le résultat est suffisamment crédible. Si la solution est si bizarre que le joueur peut uniquement la découvrir par trial and error, le designer a mal fait son job.
Ron Gilbert, le designer derrière la série des Monkey Island se positionne contre les énigmes « à l'envers » — des énigmes dans lesquelles vous trouvez tous les éléments nécessaire à la résolution avant même de tomber sur l'énigme.
Un tel déroulement encourage le joueur à récupèrer tout ce qu'il voit, juste au cas où il en aurait besoin plus tard et je suis tout à fait d'accord que cela semble bizarre : vous vous déplacez en trimbalant avec vous une collection hétéroclite d'objets sans aucune raison apparente.
Il estime que le joueur devrait tomber sur une énigme sans la solution en main et ainsi être motivé à explorer plus avant, et je comprends sa position. Néanmoins, je ne me sens pas aussi radicalement concerné que lui par ce problème. A mon sens, une complexité excessive constitue un péché bien plus grave.
De mauvais dialogues. Les jeux d'aventure ont plus de dialogues que n'importe quel autre genre et ceux-ci constituent une partie importante du gameplay et non une simple exposition qu'on peut passer.
Malheureusement, nous faisons des jeux où les gens parlent beaucoup trop longtemps (et trop lentement) et où de nombreuses conversations semblent extrêmement artificielles. Ceci est partiellement imputable à une mauvaise traduction de jeux écrits dans une langue étrangère, mais une bonne part reste due à une mauvaise écriture.
Regardez par exemple des séries télé qui tournent principalement autour du dialogue, comme New York, police judiciaire. Les gens ne jacassent pas pendant dix minutes sans interruption : la plupart des scènes durent moins de trois minutes dans leur intégralité. Il faut que ça reste court et percutant.
Un mauvais jeu d'acteur et une mauvaise production audio. Parfois, un mauvais script peut être sauvé par un bon jeu d'acteur, mais un mauvais jeu d'acteur peut faire d'un bon script une catastrophe. Encore une fois, les jeux d'aventure tournent autour des personnages et les interactions entre humains doivent donc sonner vrai.
Engagez des acteurs dignes de ce nom et faîtes les jouer ensemble. Trop de scènes de jeux d'aventure semblent clairement avoir été enregistrées ligne par ligne, avec un seul acteur présent. On n'a pas l'impression d'assister au jeu d'un acteur, mais d'entendre un narrateur réciter.
La BBC, l'un des derniers diffuseurs dans le monde qui continue à produire des pièces radiophoniques en anglais, fait toujours enregistrer ses acteurs autour d'un seul micro et s'ils sont supposés se trouver dans une cuisine, ils enregistrent dans un décor de cuisine, de façon à ce que l'acoustique soit crédible.
Je réalise bien qu'il est impossible d'enregistrer les dialogues d'un script à embranchements de la même que ceux d'un script linéaire et sans doute n'atteindront nous jamais un dialogue qui sonne parfaitement naturel.
Néanmoins, quand j'étais chargé des doublages pour Madden NFL Football, j'ai appris tout l'intérêt qu'il y avait à placer les lignes à enregistrer au milieu d'une phrase plus longue ou d'un paragraphe.
Nous enregistrions l'intégralité du paragraphe, puis coupions les parties dont nous n'avions pas besoin. Le résultat sonnait comme un flot continu de mots, plutôt qu'un mot ou une ligne enregistrés seuls.
La musique. Il s'agit peut-être uniquement des exemples auxquels j'ai joué récemment, mais les musiques dans les jeux d'aventure d'aujourd'hui semblent plus courtes et plus répétitives que celles du Bon Vieux Temps. On dirait qu'on a taillé dans le budget à cet endroit pour économiser de l'argent.
Les poitrines. J'ai l'impression que les artistes (principalement masculins, hélas) qui ont créé les jeux auxquels j'ai joué fantasment beaucoup sur les femmes, mais ils n'ont visiblement pas beaucoup regardé à quoi elles ressemblaient réellement.
Dans Culpa Innata, il y a une scène où quelqu'un fait un discours devant une grande assemblée. Toutes les femmes de la pièce, sans exception, ont des poitrines énormes — et absolument identiques.
Il s'agit d'une autre TDC et je suis déçu de voir qu'elle continue d'exister, tout particulièrement aujourd'hui où une grande partie du public est constitué de femmes. Grandissez les gars et renseignez vous un peu sur la diversité de l'anatomie humaine tant que vous y êtes.
Conclusion
En 1989, il y a encore plus longtemps que mon article « Il est temps de faire revenir les jeux d'aventure », Ron Gilbert a écrit un excellent recueil de principes pour game designers intitulé « Pourquoi les jeux d'aventure sont-ils nuls et que faire pour y remédier ? » (NDT : en anglais, « Why Adventure Games Suck and What to Do About It. »). En fait, ce recueil est précieux pour quiconque travaille sur un jeu avec une dimension narrative et je vous le recommande chaudement.
Dans les prochaines années, grâce à la dématérialisation, aux nouveaux outils de développement gratuits et au mouvement indie, nous allons commencer à voir sortir toutes sortes de jeux funky qu'on ne verrait jamais sur les étalages d'un supermarché. Des jeux d'architecture. Des simulations de train. Des jeux d'archéologie. Et, plus classique, des jeux d'aventure avec des énigmes.
On ne peut pas tous réaliser un Mario ou un Halo et tout le monde n'en a pas envie. Celui qui compte entrer en compétition directe avec Mario ou Halo a intérêt à avoir plusieurs dizaines de millions à la banque rien que pour le marketing. Si vous développez pour une niche spécifique du marché, vous ne deviendrez jamais immensément riche, mais au moins vous n'aurez pas à lutter contre la machine des relations publiques de vos gigantesques concurrents.
Les jeux d'aventure ont trouvé leur niche. Allez sur AdventureGamers.com, the Adventure Shop ou JustAdventure+ et jetez y un œil. Vous serez surpris par leur nombre. Her Interactive continue de sortir les Nancy Drew à un rythme constant et il y en a maintenant près de vingt. Tant qu'il y aura des gens qui veulent jouer à des jeux d'aventure, il y aura des gens qui voudront les créer. Et nous trouverons encore de nouvelles façons de les améliorer.
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Commentaires
Article intéressant. Cependant, à propos des énigmes, je pense que les joueurs sont prêts à accepter une certaine difficulté. Si toutes les énigmes sont du genre "appuyer sur un bouton pour ouvrir une porte" ou "éteindre le feu avec de l'eau", l'expérience se révélera décevante et le jeu ne laissera pas grand souvenir. Ce qui plaît dans un jeu d'aventure, c'est de relever un défi, de chercher pendant des heures et, au moment où l'on trouve la solution, de se dire "Mais comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?" Je me permets de renvoyer à mon article sur les énigmes ici : http://www.rpg-maker.fr/index.php?page=tutos&id=407
(Je parle en tant que créateur amateur de jeux d'énigmes, comme par exemple "Quand Lucienne la magicienne fait des siennes")
Cet article m'aide beaucoup, il donne une meilleur idée de ce que les joueurs attendent des jeux d'aventures / énigmes.
Quand E.Admas parle "d'Harmonie des jeux", je préfère employer "l'Esprit des jeux". C'est un détail, mais mon avis à moi est que l'Esprit a une connotation plus profonde que l'Harmonie. L'Harmonie est un "semblant", un "décors" et donne l'illusion que le jeu est bien fait. Tandis que l'Esprit est un ressenti de ce que le jeu est capable de nous donner, c'est le genre de jeu qui nous marque et nous touche. Le graphisme et le côté sérieux sont un bon point, mais c'est aussi et surtout son originalité qui immerge le joueur et l'amène à apprécier pleinement le jeu.
Un jeu que j'ai bien aimé est Runaway (Ainsi que ses suites). L'histoire est bien ficelé, le son est très agréable, les graphismes sont beaux et la durée de vie est plutôt correcte. Le seul point que je reproche est, comme l'a très bien souligné E.Adams, les énigmes. Elles ne sont pas trop dur mais parfois pour progresser la logique m'échappe par moment. Par exemple, pour réveiller Gina au tout début, il faut lui verser de l'eau froide sur la tête. Rien de plus simple ? Un récipient quelconque et le tour est joué ?! Eh ben, il faut croire que non ! Le seul récipient est un gobelet fendu et à peine rempli, toute l'eau a fuit. Pas de colle, ni de chewing-gum, ni de ruban adhésif alors que les poches sont pleines à craquer de bric-à-brac ; Et encore, le héros n'a même pas l'idée d'utiliser ses propres mains pour contenir l'eau et faire 3 mètres. C'est frustrant de devoir chercher pendant 30 minutes une autre solution (la seule techniquement) qui en plus de cela est carrément exagérée (je ne vous la dévoile pas, au cas où…).
Un point qui n'a pas été évoqué et qui a sa place dans les jeux d'aventures, ce sont les histoires interactives. Vous savez : "Le livre dont vous êtes le héros". On suit une histoire et c'est à nous, joueur-lecteur, de faire les choix importants de l'intrigue. Le concept s'est informatisé dans les années 80, notamment grâce à Infocom, avant de laisser la place aux jeux d'énigmes que nous connaissons aujourd'hui.
Un chouette article, d'autant que le jeu d'aventure est un genre à la portée des petites équipes d'indépendants.