Un jeu parfait
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La rejouabilité (II)

Tais-toi et bosse ton jeu !

Par Pierre Guyot | le 30 octobre 2009 23:34:58 | Catégories : Ernest Adams, Game Design
Cet article est une traduction de Pierre Guyot.
L'article original est écrit par Ernest Adams publié par Gamasutra (avril 1999).
L'auteur original n'est en aucun cas reponsable de la précision de cette traduction.

Je suis vraiment fatigué du battage médiatique.

L’une des façons dont un développeur de jeux passe de « jeune et innocent » à « cynique et blasé » est une exposition prolongée au déluge irréfléchi de superlatifs qui sort de la machine des relations publiques. Au bout d'un moment, tout sonne pareil et vous réalisez que vous ne pouvez plus rien croire.

Je suppose que dans une certaine mesure, le battage médiatique est inévitable dans notre industrie et plus généralement dans toute industrie du divertissement. Comme il y a peu de critères objectifs pour tester les jeux, le fait d’aimer ou de ne pas aimer un jeu se réduit à un problème d’opinion. Le battage médiatique est notre façon d’influencer l’opinion de nos clients. Et certaines de ces déclarations qui semblent complètement extraordinaires sont justifiées. Les jeux sont beaucoup plus rapides, beaucoup plus fluides et beaucoup plus beaux qu’ils ne l’étaient. Avec le développement du hardware à l’heure actuelle, il est difficile de trouver une façon de décrire ces changements qui ne sonne pas comme une successions d’hyperboles. Néanmoins, je pense que le battage médiatique représente un véritable danger pour le processus de développement.

Il y a quelques années, j’assistais à une réunion avec une tripotée d’autres programmeurs et j’écoutais un nabab de l’industrie Dont-Je-Ne-Prononcerai-Pas-Le-Nom promouvoir un nouveau produit. Il nous a présenté un transparent qui nous montrait que le nombre de couleurs que l’on pouvait afficher avec divers appareils avait changé au cours des ans. La carte EGA pouvait afficher 16 couleurs ; la VGA, 256, et ainsi de suite. Son produit, bien sûr, était hors du graphe – il pouvait afficher 16 millions de couleurs – plus, affirmait-il, qu’une télévision couleur, qui était limitée à 10 millions.

A cet instant précis, il nous a perdus. Son produit utilisait une télé couleurs en sortie ! Quel est l’intérêt d’avoir un appareil qui peut afficher 16 millions de couleurs si la télé couleurs peut seulement afficher 10 millions de couleurs en sortie de toute façon ? Son appareil gérait 6 millions de couleurs de trop, que l’utilisateur ne pourrait jamais voir (je dois aussi signaler qu’une télé couleurs est un appareil analogique et non digital, ce qui la rend théoriquement capable d’afficher une infinité de couleurs, mais il n’était apparemment pas au courant de ça).

Ceci est un exemple classique de battage médiatique décérébré. Le nabab de l’industrie en question a mis plein de gros chiffres sur l’écran et s’attendait à ce que tout le monde soit impressionné. Mais il s’adressait à des gens compétents sur le plan technique, dont le travail consiste à travailler avec les nombres et à raisonner sur leur signification véritable. En affichant ce transparent, il a fait insulte à notre intelligence, ce qui nous a rendus hostiles et suspicieux. Nous étions venus à la réunion en nous attendant à être éblouis. Quand nous sommes repartis, nous étions offensés et déçus. Ses mots avaient eu l’effet inverse de ce qu’il escomptait.

Plus tard, lors d’une présentation, j’ai vu le même appareil présenté par un professionnel avec une mâchoire taillée au couteau, un costume cintré et une quantité extraordinaire de gel. Il prétendait qu’il contrôlait un simulateur de vol au dessus de Yosemite Valley et que chaque branche de chaque arbre était affichée en temps réel. Il se trouve que je savais que c’était un mensonge éhonté, parce que j’avais vu la même démonstration ailleurs. On nous montrait un film prérendu fait avec Vistapro. Le présentateur a eu la présence d’esprit de disparaître par une porte à la fin de la présentation, de façon à ce qu’on ne puisse pas lui poser de questions.

L’engin en question atterrit sur le marché, brassa de l’air, suffoqua puis coula. Il n’est pas mort à cause du battage médiatique ; il est mort parce qu’il coûtait trop cher, réalisait trop peu et qu’il était épouvantable de développer sur ce support. Mais le battage médiatique a été incapable de le sauver. C’était un produit lamentable et la réclame ne lui attirait pas d’avis positifs dans la communauté des développeurs, à un moment où il en aurait eu vraiment besoin.

Au début de mars, cette année, deux entreprises très différentes, mais disposant toutes les deux d’énormes budgets pour les relations publiques, ont annoncé le même jour qu’elles étaient en grande difficulté. L’une était Purple Moon, les éditeurs de Rockett’s New School et d’autre jeux développés pour les filles. L’autre était Ripcord Games, éditeur de Postal (premier coup) et du « fameux » Space Bunnies Must Die (deuxième coup).

Purple Moon

Purple Moon a été fondée avec les meilleures intentions du monde. La compagnie voulait briser le moule dont semblait sortir la plupart des jeux vidéo. Elle allait développer des jeux ciblant les centres d’intérêt des filles et ce qui était important dans leurs vies. Purple Moon a fait une énorme quantité de recherches pour déterminer ce qui importait pour les filles. Puis ils ont mis en branle la machine des relations publiques pour aller clamer sur tous les toits de façon absolument outrageuse qu'ils allaient révolutionner l’industrie et rendre la technologie accessible aux filles (ce qui est juste un peu condescendant vis-à-vis des millions de filles qui utilisaient déjà joyeusement les ordinateurs). Mais ça a marché. Purple Moon a eu droit à une énorme attention de la part de la presse.

Le problème c'est que les jeux étaient en réalité de misérables aventures réalisées sous Macromedia Director. Ils étaient trop courts et offraient un intérêt faible en comparaison du prix de vente. Les artworks étaient de simples crayonnés. L’utilisation des voix et les effets sonores étaient obsolètes. Pire que tout, les thèmes des jeux étaient insipides : donner des conseils à ses amis, rentrer dans la bonne bande à l’école. Dans la série de jeux de football qui était prévue, le premier jeu était intégralement dédié à décider qui serait dans l’équipe – on ne jouait même pas au football. Mon Dieu, qui voudrait revivre un tel cauchemar ?

Les filles sont de toutes sortes, de celles qui aiment jouer à Quake et raconter des conneries à celles qui semblent être nées avec un nécessaire de maquillage dans les mains. Mais, comme les garçons, elles ont des rêves qui les emmènent hors de leur monde. Le problème des jeux de Purple Moon, si l’on exclut la nullité de la production, c’est qu’ils ne réalisaient aucun rêve.

Purple Moon a prétendu qu’elle ne pouvait gagner la compétition avec Barbie, la licence principale de Mattel. Bon, je suis extrêmement dubitatif quant à Barbie – je pense que son corps représente un idéal inaccessible que les filles tentent désespérément d’imiter, au détriment de leur propre santé, physique et mentale. Mais les jeux Barbie traitent d’aventures sans aucun doute plus intéressantes que celles de Purple Moon. Je suis sûr que Mattel a plus de budget pour le marketing et un meilleur système de distribution que Purple Moon. Mais Mattel a aussi de meilleurs jeux.

La véritable ironie dans tout ça est que Mattel semble sauver Purple Moon en la rachetant, sans doute pour la valeur de son service de relations publiques. Il y a quelque chose de profondément incongru à voir le très « non-PC » Mattel posséder le très « PC » Purple Moon.

L’autre entreprise qui apparut dans les informations le même jour était Ripcord Games. L'entreprise mère Matsushita a annoncé qu’il allait soit vendre, soit fermer Ripcord. Les choix de Ripcord n’auraient pas pu être plus différents de ceux de Purple Moon – Space Bunnies Must Die était un jeu sexploitation de pacotille, avec une héroïne à la poitrine énorme qui dansait, changeait de vêtements et tuait des lapins géants. Mais Ripcord a aussi mis le bouton de réglage du volume de la publicité au maximum. A l’E3 1998, le logo de Space Bunnies Must Die – l’héroïne avec un gun – était imprimé sur chaque parcelle de surface disponible. Matsushita a même fait construire un tunnel Space Bunnies Must Die dans l’un des halls, de telle sorte qu’il était impossible d’aller d’un bout de l’exposition à un autre sans passer par le tunnel.

Space Bunnies Must Die (Ripcord Games) Space Bunnies Must Die (Ripcord Games)

Et pourtant, le jeu de Ripcord n’était rien de plus qu’une copie bas de gamme de Tomb Raider. Grosse poitrine ou non, Alison, le personnage principal, était mal modélisée et mal animée. L’histoire était nulle. Les décors étaient tout sauf impressionnants. La bande-son country n’allait absolument pas avec l’ambiance exploration spatiale. Tout le monde s’en moquait. Si Space Bunnies Must Die réalisait un rêve, il était bien trop tordu pour que la plupart des gens s’y reconnaissent.

Sans cesse, nous voyons des produits hypermédiatisés qui ne vont nulle part. Vous vous souvenez de Microsoft Bob ? Le logo Microsoft Bob était placardé absolument partout au Consumer Electronics Show ; il y avait même un avion qui tirait une bannière de façon à ce que vous puissiez le voir lorsque vous arriviez depuis votre place de parking. Mais c’était un produit lamentable et personne ne l’a acheté.

Le message ici est simple : tout le battage médiatique du monde ne saurait sauver un mauvais jeu. En tant que développeur de jeu, c’est votre travail de faire un bon jeu, et pour cela, vous devez avoir une certaine objectivité et un certain détachement. Vous avez besoin d’avoir l’œil vif, d’être capable de vous remettre en question et de vous demander en permanence : est-ce assez bon ? Comment l’améliorer ? Quels défauts ai-je oubliés ou laissés passer ? Vous devez devenir votre critique le plus acerbe.

C’est là que le danger du processus de développement intervient. Restez aussi loin que possible des départements des relations publiques et du marketing, sauf s’il est nécessaire de les informer au sujet de votre jeu. Si vous traînez là-bas trop longtemps, vous commencerez à croire ce que dit votre propre communiqué de presse, et quand cela arrivera, vous vous relâcherez, en croyant que le travail est déjà fait. Je suis sûr que c’est ce qui est arrivé à Purple Moon, Ripcord Games et Microsoft Bob. Leurs développeurs et, pire, leurs producteurs, ont été pris dans la frénésie du service des relations publiques et ont perdu leur détachement. Le département marketing est l’endroit où on vend le jeu, pas là où on vous fournit des critiques objectives. Si vous voulez savoir ce que les gens pensent réellement de votre jeu, demandez le aux testeurs, qui y ont joué jusqu’à en être malades. Vous pouvez généralement compter sur eux pour vous révéler la cruelle vérité.

Bien sûr, on veut être fier de son propre travail. Mais cette fierté devrait venir d’un constat objectif de vos propres réussites, et non de la prose enflée qui apparaît sur les publicités. Il est évident qu’on ne peut pas se contenter de publicités qui disent que votre jeu est « le deuxième meilleur RTS sur le marché », mais si la publicité dit que c’est le meilleur et si vous savez que non, restez en conscient – autrement, vous ne faîtes que vous leurrer. Vous devez conserver votre capacité à juger votre propre travail.

L’autre chose dont il faut se souvenir est que si vous avez vraiment un produit incroyablement bon, d’autres personnes se chargeront d’assurer sa couverture médiatique pour vous. Id Software n’avait pas énormément d’argent dédié au marketing ; ils ont juste mis en ligne les premiers niveaux de Doom comme shareware et laissé Usenet faire le reste. La simple acclamation du public est de loin plus précieuse que n’importe quelle publicité que vous pouvez acheter.

Travaillez sans relâche et gardez un regard clair. Faîtes le meilleur jeu possible. Ne vous vantez pas et n’exagérez pas dans la presse – cela irrite les gens et sape votre crédibilité si vous ne pouvez pas répondre aux attentes. Votre travail, en tant que designer, est de penser et d’écrire, non de parler. Alors tais-toi et bosse ton jeu !

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